
Résumé
On échange avec Alexandre Nequado, Atikamekw et Catherine Desjardins, Wolastoquey sur la relation d’un individu avec ses modes d’expression et de l’importance des langues autochtones pour non seulement raconter le territoire et ses habitants, mais nous permettre de mieux les comprendre.
Transcription de la narration
En tant que Franco-Canadienne, en tant que Québécoise, la langue a toujours été centrale à mon identité et je pense que ça a été décidé même avant que je naisse. On le sait, la question de langue au Québec c’est très politique, mais de manière plus large au pays à travers les différentes communautés francophones, il y a un combat quotidien qui est mené pour assurer la survie et la vitalité de la langue, sous toutes ces formes et ses typicités régionales.
Et c’est par cette porte là que j’aimerais vous inviter aujourd’hui parce que en tant que francophones canadiens, on ne prend pas notre langue pour acquise. On comprend que pour qu’une identité collective survive, il lui faut une langue, il lui faut un territoire sur lequel ancrer cette langue mais aussi des moyens de gérer la transmission de cette langue; et les valeurs de société que cette langue véhicule.
Je pense à ces conversations sur l’importance de préserver la langue française et elles sont importantes, mais, surtout au Québec, où on est majoritairement francophones, elles font vraiment de l’ombre sur le fait qu’on vit sur un territoire où des langues millénaires sont nées et sont encore parlées - et étaient parlées bien avant l’arrivée des Européens, et qu’un grand nombre d’entre-elles sont menacées par les mesures coloniales d’hier et d’aujourd’hui.
Et si on a tendance à bien connaître les barrières historiques et actuelles qui freinent l’endurance et la vitalité du français « d’un océan à l’autre », on ignore – sciemment ou involontairement – les autres combats linguistiques menés sur ces mêmes terres. Il y a d’ailleurs un livret d’introduction aux langues autochtones parlées au Canada, publié par le Musée canadien des langues (2020), qui est une excellente ressource sur le sujet. Je vous le mets en lien dans la liste de références de l’épisode, et dans notre banque de ressources sur osersenparler.ca.
La cause la plus fréquente de disparition d’une langue est la conversion linguistique, quand une communauté se met à parler complètement une autre langue, parce qu’il y a généralement une différence de statut entre la langue d’une communauté et celle d’un groupe plus puissant. Dans les communautés canadiennes-françaises, on va souvent penser à l’anglais, mais la menace de l’anglais sur le français, le français le fait aussi peser sur d’autres langues, surtout au Québec où le français est majoritaire.
La plupart des franco-canadiens de chaque province connaissent le nom de lois ou de mesures qui ont visé leur assimilation culturelle, religieuse et linguistique. Entre-autres, ce sont des lois sur l’unilinguisme des écoles, des services gouvernementaux, des tribunaux, etc. On se souvient des décennies de lutte linguistiques, culturelles, économiques, mais dans ces luttes, on n’a pas souvent regardé autour de nous.
Pendant ce même temps, les politiques coloniales comme la Loi sur les Indiens et les pensionnats ont privé les Autochtones de leurs langues et cultures à un niveau bien pire. Elles ont joué un rôle important dans la conversion linguistique de nombreuses communautés autochtones – vers l’anglais et vers le français. Le rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation note que même si les langues autochtones sont aujourd’hui tolérées, avoir interdit, diabolisé et puni leur usage si sévèrement et si longtemps a entraîné des conséquences graves sur la transmission des langues, les mettant aujourd’hui en péril.
Saviez-vous que l’année 2022 marque le début de la décennie internationale des langues autochtones 2022-2032 décrété par l’UNESCO? Cette décennie vise à protéger, à perpétuer et à faire revivre ces langues de partout dans le monde.
Récemment en 2019, la Loi concernant les langues autochtones a permis la création du Bureau du commissaire aux langues autochtones, mais maintenir et revitaliser les langues autochtones ne demeure pas moins qu’une tâche titanesque, très souvent portée par les locuteurs animés d’une envie de vivre, de s’exprimer, de chanter et d’aimer dans la langue qu’on a tenté de leur voler.
Aujourd’hui, on en rencontre deux d’entre-eux, Catherine et Alexandre. Catherine Desjardins est animatrice culturelle et artiste musicale wolastoquey, qui est en train de réapprendre la langue de ses aïeuls, le wolatoquey sur le territoire traditionnel de ces ancêtres, près de ce qu’on connaît aujourd’hui comme Fredericton. Alexandre Nequado lui est intervenant culturel et traducteur atikamekw qui anime entre-autres le balado Présence autochtone avec André Dudemaine.
On échange sur la relation d’un individu avec ses modes d’expression; on explore la grande variété d’expériences et de défis, et on discute de l’importance des langues autochtones pour non seulement raconter le territoire et ses habitants, mais nous permettre de mieux les comprendre.
Vous verrez qu’il y a beaucoup à dire, et donc je laisse la place à nos deux invités, en vous proposant un épisode un peu moins narratif qu’à l’habitude.
[Rencontre, audio]
[Intervention de Philippe Charland, audio]
Vous venez d’entendre Philippe Charland, professeur allochtone qui enseigne l’abénakis au collègue Kiuna entre-autres, le Centre d'études collégiales des Premières Nation. Je l’ai rencontré au début 2020 pour parler des langues autochtones au Canada, et de la langue abénakise en particulier, une langue qui, comme le wolastoquey, était considérée disparue en 2007.
[Intervention de Philippe Charland, audio]
Xavier Watso, qui est professeur de secondaire, créateur de contenu et chroniqueur abénaki, a été un des élèves de Philippe Charland. Dans une chronique, il demande où est la loi 101 pour les langues autochtones, et écrit ceci :
« Nous sommes actuellement une poignée d’Abénakis qui prenons des cours pour que celle-ci ne disparaisse pas définitivement… Un travail difficile, frustrant et rempli de traumatismes quand on se souvient que nos grands-parents la parlaient couramment avant d’être envoyés en pensionnats pour les forcer à l’oublier… […] En tant qu’autochtone, d’imaginer que les Québécois.es nous respecteraient assez pour prendre le temps d’apprendre des mots dans nos langues serait un premier pas qui nous remplirait d’espoir. Rien que ce petit bout de chemin nous permettrait d’établir un premier lien de confiance et de respect. »
Les langues millénaires qui ont cohabité sur ce territoire ne sont pas menacées aujourd’hui par hasard. Ce n’est pas un secret que les pensionnats ont été un vecteur énorme dans la rupture des liens culturels, linguistiques et identitaires dans de nombreuses communautés autochtones. Mais d’autres facteurs et contextes particuliers ont joué des rôles importants dans cette rupture. Pour le wendat, Isabelle Picard, ethnologue et chroniqueuse wendat explique qu’un tas de facteurs font que la langue de ses ancêtres, le wendat, ne se parle plus de façon courante depuis le début du XXe siècle : « la proximité avec les villes environnantes, l’imposition de l’éducation en langue française, le fait que [les Wendats étaient] plutôt axés vers le commerce, puis le tourisme, et que parler le français se voulait impératif ». Elle ajoute « Pourtant, peu de gens savent que la langue du commerce des fourrures au début de la colonie, ce n’était pas le français, mais le wendat ! ».
Dans le cas des Wolastoquiyik que la frontière administrative à placé au Québec, Catherine nous explique que la perte du territoire a forcé une dispersion et une assimilation des membres de sa Nation au sein de la population dominante francophone.
[Rencontre, audio]
Se parler des belles choses, faire du territoire de la poésie. Mettre de l’avant les langues autochtones, c’est aussi valoriser l’expressivité des noms géographiques autochtones, et mieux comprendre les recoins du territoire.
[Rencontre, audio]
Conclusion : Je vous laisse sur ces réflexions de Catherine et Alexandre. Comme toutes langues vivantes, les langues autochtones se définissent et se redéfinissent à travers le temps et l’espace, mais elles font face à d’immenses obstacles structurels. J’espère que ce premier épisode sur les langues autochtones vous aura permis de développer un plus grande appréciation et compréhension de la diversité des vécus linguistiques à travers le territoire, et la particularité générale des langues autochtones à décrire, enseigner, chanter et comprendre le territoire qui les a vu naître et évoluer.
Comme à l’habitude, les différentes références abordées aujourd’hui se trouvent sur la page web de l’épisode. Retrouvez aussi une banque de ressources sur osersenparler.ca/ressources (au pluriel). N’hésitez-pas à nous écrire, nous suivre, ou partager cet épisode. À la prochaine!
Références
01:40 – Les langues autochtonesau Canada (2020), un guide du Musée canadien des langues
04:05 – Rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation (2015)
04:15 – Décennie des langues autochtones (2022-2032), UNESCO
04:25 – Loi concernant les langues autochtones (2019)
36:50 – Chronique: Kwaï 101 (2021), chronique de Xavier Watso
37:50 – Les langues autochtones du Kanata (2022), une chronique d’Isabelle Picard
À propos du balado
Vous écoutez Oser s’en parler, un balado indépendant dans lequel on tente de déconstruire le malaise colonial et l’inertie allochtones, tout en mettant de l’avant des voix autochtones. Oser s’en parler, c’est aussi entamer, en tant qu’allochtone, une introspection collective et individuelle sur les réalités du racisme systémique et du colonialisme, pour se responsabiliser, et s’engager à faire partie de la solution. Je m'appelle Charlotte Côté, et je vous souhaite la bienvenue dans cet espace de dialogue, d’apprentissage et de remise en question. Bonne écoute!
Trames sonores de cet épisode:
- Aourourou, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
- Chilvat, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
- Delamine, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
- Cloudbank, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)