
Résumé
De plus en plus au Canada, il y a une envie d’explorer les côtés sombres de notre histoire collective. Avec Martine Robitaille, Anishinabée de la nation algonquine de Kitiganzibi, on en apprend plus sur l’exercice de couvertures de Kairos, un outil pédagogique immersif développé avec les aînés et les gardiens du savoir, qui amène ses participants à réapprendre l’histoire du Canada du point de vue autochtone.
Transcription de la narration
« Ce n’est pas moi qui suis née au Québec, c’est le Québec qui est né dans mon pays »
(cité de "C'est le Québec qui est né dans mon pays!" - Carnet de rencontres, d'Ani Kuni à Kiuna, une bande dessinée d’Emanuelle Dufour [date de publication prévue : mars 2021]). Je suis tombée sur cette citation d’Anna Mapache, Anishnaabée et ça m’a vraiment interpellé. C’était si poétique – et ça remettait tout en perspective, d’un coup sec.
On pense peu souvent du territoire qui nous a vu naître – de ce qu’il représente, de notre relation avec lui. En tout cas, moi, un jour, dans un cours de féminisme autochtone, on m’a demandé de décrire mon lien avec le territoire – et au contraire, je trouve que je suis tellement déconnectée du territoire – peut-être parce que j’ai jamais vraiment vécu dans un endroit de manière stable pour plus que quelques années, peut-être parce que je suis déracinée, mais bref – depuis ce temps-là, j’y pense souvent, à mon lien au territoire.
Ce lien avec le territoire, il remonte au moment où une partie de mes ancêtres – les Côtés, ont débarqué ici. Et sur ce, j’aimerais partager avec vous un texte que Bev Sellars, écrivaine et Cheffe de la nation Xat'sull, a écrit en préface du manuel/ recueil « Whose Land Is It Anyway? A Manual for Decolonization » (traduction libre : « C’est la terre de qui, dans le fond? »), édité par Peter MacFarlane et Nicole Schabus et publié en 2017 par la Fédération des enseignants des études supérieures de Colombie-Britannique.
« Je pense souvent à ce qu’il aurait pu se passer si les nouveaux arrivants (les colons) avaient été respectueux des Autochtones. Je me demande ce qu’il serait advenu si on avait appris les uns des autres, et pris le meilleur de nos cultures. Nous avons partagé généreusement nos savoirs liés au territoire pour aider les nouveaux arrivants à s’adapter à leur nouvelle vie. Ils seraient morts sans notre aide – plusieurs en ont d’ailleurs péri .
La population des Amériques était solide, stable et forte aux premiers contacts. L’île de la grande tortue était un monde vieux de milliers d’années où des centaines de cultures avaient flori avec leurs propres gouvernements et lois. Mais la pensée arrogante des nouveaux arrivants était que ceci était un « Nouveau Monde », dont l’histoire commença que lorsqu’ils débarquèrent. »
Elle parle des enseignements qu’on aurait pû tirer des Autochtones, sur la nature sacrée de la Terre – que leurs pratiques durables ont été éradiquées avec le désir qu’on a eu d’exploiter et conquérir le territoire.
Elle nous rappelle qu’avant le contact, les femmes avaient des rôles d’égales – voir même de leader dans leurs sociétés – les colons leur ont enlevé tout droit, ce qui a créé un chaos énorme dans les structures de gouvernances autochtones. Ça les a rendues des cibles privilégiées pour la violence (par le colons, mais pas que) – encore aujourd’hui.
Si chacun avait son rôle à jouer avant la colonisation, l’individualisme et le vol des ressources par les nouveaux arrivants a mené à des inégalités sociales profondes et la marginalisation des Autochtones.
Bev nous parle de toutes ces connaissances, perdues à jamais, et de ces jeunes Autochtones qui ont perdu tout contact avec leurs racines et leurs ancêtres car le système raciste les a effacés et détruits. Elle nous dit que c’est notre perte à tous. Elle nous rappelle des contributions autochtones à la cuisine, aux langues, à la médicine, aux sports, aux méthodes de transport, à l’architecture et à l’art – et que, jusqu’à récemment, peu de crédit leur était accordé pour ça – qu’au contraire, on les étiquetait de sauvages dans la culture populaire.
Elle nous rappelle que la plus grande force des autochtones est le partage – et c’est dans cette optique que ce recueil a été assemblé. Je recommande à n’importe qui qui peut lire en anglais de le télécharger gratuitement. Le lien est sur la page de l’épisode à osersenparler.ca, et dans la section « Ressources » du site.
On connaît peu l’envers de l’histoire qu’on apprend à l’école, ou à la télé, ou dans les repas de famille. Et de plus en plus, il y a une envie d’explorer ce côté sombre de notre histoire collective – et c’est ce que j’avais envie d’aborder avec Martine Robitaille. Elle est Anishinabée de la nation algonquine de Kitiganzibi, éducatrice, professeure en éducation et criminologie, universitaire, sœur, femme, et formatrice de l’exercice des couvertures de Kairos. L’exercice de couvertures, c’est un outil pédagogique immersif, c’est-à-dire que ses participants apprennent en faisant, un des piliers de la pédagogie autochtone. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à un exercice des couvertures à ce jour dans des contextes variés et partout à travers le pays. Moi-même j’ai participé à deux exercices différents et de mon expérience, peu importe la sensibilité des gens au départ, l’exercice est construit d’une manière telle qu’il est presqu’impossible d’y rester indifférent. Dans cet épisode-ci, on explore l’exercice des couvertures comme outil de sensibilisation et de changement mais la semaine prochaine, on abordera avec Martine Robitaille de sujets importants entourant la criminalisation des personnes racisées et plus spécifiquement, autochtones, tels que le traumatisme intergénérationnel, la pauvreté, et le biais fondamental du système légal et pénal canadien.
Pour l’instant, je vous la laisse se présenter.
[Rencontre, audio]
L’exercice de couvertures de Kairos, c’est un programme complet et adapté qui est présent partout au pays, avec des centaines de facilitateurs et de partenaires. La première fois que j’ai été invitée à le faire, c’était dans le cadre d’un cours à l’université. Je connaissais la majorité des faits qu’on nous présentait, mais l’immersion a vraiment apporté une toute autre dimension. C’est parce qu’on nous engage sur les plans émotionnel et intellectuel que cet atelier est si unique et poignant. Indspire, un organisme autochtone à but non lucratif qui se concentre sur l’éducation, a célébré l’exercice des couvertures comme une « ressource et méthode efficaces » (“Successful Practice and Resource”). C’est souvent un point de départ pour l’introspection individuelle et collective sur le sujet de la Réconciliation. Et comme nous le disait Martine, cet exercice se fait vraiment dans une foule de contextes variés et différents… même dans une entreprise qui travaille dans le domaine minier.
Guillaume est allochtone, et de passage dans une industrie de consultation dans le domaine minier, il a été invité à participer à un exercice de couvertures. On s’en parle rapidement :
[Intervention de Guillaume, audio]
L’exercice des couvertures n’est évidemment pas la panacée – on ne peut pas se dire « j’ai fait l’exercice des couvertures, j’ai fait ma part dans la Réconciliation ». Mais il y a cette question essentielle qui en ressort souvent : « Que peut-on faire pour changer les choses? » - et c’est surtout là qu’il faut faire sa part.
Je recommande souvent l’exercice des couvertures de Kairos à plusieurs organismes/ écoles qui veulent développer une stratégie pour répondre à certains Appels de la Commission de Vérité et Réconciliation. Mais je leur rappelle toujours que l'exercice doit être un point de départ pour réfléchir sur les façons dont on peut, en tant qu’allochtone dans un secteur donné, devenir des acteurs de changement. Comment redonner de l'espace et se responsabiliser? Comment faciliter une introspection collective de notre groupe? Comment favoriser le changement de nos attitudes? Ce processus prend énormément de temps et d’énergie, et la confiance de partenaires autochtones doit être gagnée. Il n’est pas question de cocher une case et de passer à d’autre chose : l’exercice doit être une pierre pour construire le pont – et ça doit être clair pour tout le monde dès le début.
On parle souvent du cycle de violence qui existe dans les communautés autochtones, dû au traumatisme intergénérationnel, ce traumatisme transféré de génération en génération. On applaudit ceux qui brisent ce cycle. Mais on oublie que ce cycle, c’est aussi à nous de le briser – et que c’est un long processus qui demande de la rigueur. J’ai déjà dit que ça demandait « du courage et des sacrifices », mais en rétrospective, j’avais tort : ça demande d’établir ses priorités, et de mettre du temps et de l’argent là où se trouvent nos valeurs.
Ce cycle de violence, en tant qu’allochtones, on le perpétue souvent sans s’en rendre compte. Et pour Martine Robitaille, l’exercice des couvertures lui a permis de vivre une première expérience de Réconciliation.
[Rencontre, audio]
On entend souvent qu’il n’y aura pas de réelle Réconciliation qui ne passera pas par le territoire. Le Canada, notre pays, est né du vol de ce territoire et de l’aliénation de ceux qui le connaissaient, qui le respectaient et qui l’arpentaient depuis des millénaires. La guérison pour plusieurs personnes passe par la reconnexion avec le territoire de leurs ancêtres, avec leurs valeurs et leurs savoir-faire. On parlera de ça avec Martine Robitaille justement au prochain épisode. Pour justifier le vol de territoire, nos ancêtres ont développé un arsenal de lois, de jugements de valeurs, et de mensonges qui présentaient les Autochtones comme des personnes fainéantes, sales, sous-développées, criminelles. À travers l’histoire occidentale, on sait que le pouvoir de modeler l’image de l’Autre a souvent été destructeur – mais on ne tisse souvent pas le lien jusqu’à aujourd’hui. Les atrocités d’hier sont devenues plus subtile aujourd’hui – la déshumanisation et les injustices sont déguisées, et Martine nous expliquera comment on les perpétue aujourd’hui à travers notre système judiciaire et carcéral, ainsi que notre système de protection de l’enfance.
Ce ne sont pas des sujets faciles à aborder, mais je vous laisse une semaine pour vous y préparer mentalement, et peut-être commencer à lire ou écouter des ressources en lien – je vous mets quelques idées en note sous l’épisode, à osersenparler.ca
Comme d’habitude, les différentes références abordées aujourd’hui se trouvent elles aussi sur la page web de l’épisode. N’hésitez-pas à nous écrire, nous suivre, ou partager cet épisode. Prenez soin de vous, et à la semaine prochaine!
Références
00:01 – Anna Mapache, citée dans "C'est le Québec qui est né dans mon pays!" - Carnet de rencontres, d'Ani Kuni à Kiuna, une bande dessinée d’Emanuelle Dufour [date de publication prévue : mars 2021].
01:00 à 04:00 – Whose Land Is It Anyway? A Manual for Decolonization (2018) par Taiaiake Alfred, Glen Coulthard, Russell Diabo, Beverly Jacobs, Melina Laboucan-Massimo, Kanahus Manuel, Jeffrey McNeil-Seymour, Pamela Palmater, Shiri Pasternak, Nicole Schabus, Senator Murray Sinclair, and Sharon Venne, publié par Federation of Post-Secondary Educators of BC.
04:00 - Ressources recommandées par Oser s'en parler
04:30 – Exercice des couvertures de Kairos
05:40 – Rafle des années soixante expliquée par l’Encyclopédie canadienne.
06:00 – Martine Robitaille
06:35 – Pour plus de contexte, lire l'article « Nos enfants ne se lancent pas dans la vie pour échouer » de l’honorable Murray Sinclair, Anishinaabe Ojibway illustre et président de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) (2017). Voici la traduction d'un extrait:
« Le système de protection à l'enfance, le système judiciaire pour les jeunes et le système d'éducation fonctionnent tous sur la base d'une croyance fondamentale et inhérente, à savoir qu'en tant que parents dans nos propres communautés, nous n'avons pas le droit de donner naissance, d'élever, d'éduquer, de discipliner et de protéger nos enfants contre le racisme inhérent au Canada ».
Lui et plusieurs dénoncent le système de protection à l’enfance comme la continuation des écoles résidentielles de nos jours, que l’héritage des pensionnats, c’est de dire qu’il est acceptable d’appréhender les enfants et de causer une rupture culturelle; une déconnexion avec leurs communautés. Martine finalise son doctorat sur le sujet, et ce qu’elle nous raconte est choquant, mais révélateur.
06:40 – Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH)
06:45 – Rapport de la Commission de Vérité et Réconciliation (2015)
07:30 – Exercice des couvertures de Kairos
07:50 – Crise d’Oka, siège/ résistance de Kanehsatà:ke expliquée par l’Encyclopédie canadienne ; liste de ressources audio-visuelles sur le sujet
08:20 – Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996)
19:50 – Louis Riel et la Rébellion de la rivière Rouge, expliqués par l’Encyclopédie canadienne
À propos du balado
Oser s'en parler est un balado indépendant où on essaie de déconstruire le malaise et l'inertie allochtones et élever des voix autochtones. Ça peut être extrêmement confrontant de se pencher sur les façons dont on contribue, sans le savoir, à l'oppression de ceux qui habitent sur le même territoire que nous. Mais c'est justement pour ça qu'il faut se parler sincèrement entre "Blancs/ colons/ Canadiens", procéder à des introspections personnelle et collective, et changer nos comportements. Parce que le changement dit "systémique" ne se passera que si chacun de nous s'y met.
Trames sonores de cet épisode:
Taoudella, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
The Poplar Grove, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
Stucco Grey, Blue Dot Sessions (www.sessions.blue)
Merci !
Il faut amener les differents Ministeres de l Education provinciaux a inclure cette formation dans le programme scolaire.